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Il y a un an, Adobe annonçait que ses logiciels, dont son célèbre Photoshop, étaient disponibles dans une version abonnement. Le client avait donc le choix entre l’achat du logiciel et sa location. Les calculettes ont chauffé : vaut-il mieux dépenser 1000 € pour Photoshop, ou le louer pour 48 € par mois ? Soit un amortissement en environ 2 ans, juste à temps pour la version suivante, qui demande de débourser 300 € pour l’achat, mais rien de plus pour la location. Oui, mais si on saute une version — voire deux — comme le font beaucoup de photographes ? Ces questions n’ont plus lieu d’être, après l’annonce d’Adobe qui passe au « Creative Cloud » (CC).

La nouvelle version de Photoshop, annoncée pour juin, sera donc exclusivement disponible par abonnement, comme tous les autres logiciels de l’ex Creative Suite (inDesign, Illustrator, Dreamweaver, Premiere Pro…). Fini les boites, fini l’achat de logiciel. Vous vous abonnez, au mois le mois ou pour l’année, et quand vous ne payez plus, le logiciel ne fonctionne plus.

Adobe met en avant les avantages de ce  « nuage créatif » : logiciels toujours à jour, facilité du travail multi-plateforme (aller-retour tablette-pc), travail en équipe de créatifs, stockage en ligne, etc. Au-delà du fait d’intégrer les facilités offertes par le haut débit d’internet, la motivation d’Adobe est de « lutter contre le piratage de ses produits et gérer plus efficacement leur mise à jour ».

Pour le premier point, le piratage, c’est un aveu d’échec technique : le processus d’enregistrement et validation en ligne de ses logiciels est certainement le plus pénible du marché, mais visiblement ça ne protège pas suffisamment bien. Cela n’a pas empêché Adobe de prendre la position hégémonique qu’il a sur le marché de la retouche photographique, du dessin vectoriel, du pré-presse, du montage vidéo. On peut déplorer le piratage tout en reconnaissant qu’il joue un rôle certain dans la popularité du logiciel et son universalité. Et je doute que le système d’abonnement arrive à résoudre le problème que l’activation en ligne actuelle n’est pas arrivée à résoudre.

Pour le deuxième point, c’est un aveu d’échec commercial : « gérer plus efficacement leur mise à jour », cela veut dire s’assurer que les utilisateurs remettent au pot à chaque nouvelle version, ce qui est loin d’être le cas. Et ce n’est pas bon pour les finances. Mais encore faut-il que les progrès d’une mise à jour à l’autre soient suffisamment convaincants pour apporter concrètement un plus aux utilisateurs. La retouche automatique basée sur le contenu est géniale, mais on peut vivre sans ; quand à la 3D qui faisait l’essentiel des nouveautés des dernières versions, quel intérêt pour les photographes ?

L’abonnement à Creative Cloud, donnant accès à l’ensemble des logiciels sera facturé en France 61,49 € (49,99 € HT). Aux USA, ce sera les mêmes nombres, mais en dollars. Comme 1 $ = 0,77 €, cela signifie pour le client français un tarif supérieur de 30% si on s’en tient au HT (+66% pour aller jusqu’au TTC). Adobe reste là fidèle à sa stratégie de prix nettement supérieurs pour ses clients européens, beaucoup plus riches que les américains, c’est bien connu. Et là, on ne peut plus agiter le prétexte des coûts de distribution !

Les utilisateurs intéressés par un seul des logiciels pourront s’y abonner pour 24,59 € (19,99 € HT), ce sera le cas de la plupart des photographes.

Pour faciliter la transition, pas mal de tarifs promotionnels sont proposés pour la première année, par exemple si vous détenez une licence pour CS3 (9,99 € ?) ou la dernière version CS6. Un tarif éducation est disponible à 19,99 € TTC pour l’ensemble du pack. Des tarifs spéciaux sont faits aussi pour les entreprises avec plusieurs postes.

La situation de Lightroom et de Photoshop Element reste incertaine à ce stade, il semble qu’ils soient toujours disponible à l’achat classique, même si Lightroom fait partie du pack de logiciels mis à disposition dans l’abonnement CC. [edit 15/5/13 : confirmation que LR 5 sera dispo en formule d’achat classique]

Concrètement, ce système d’abonnement signifie quoi ? D’abord, et c’est important de le noter, un accès plus facile à un logiciel dont le prix d’achat est plutôt dissuasif, et dans une version toujours à jour, capable de traiter les formats raw des derniers appareils, et intégrant les dernières sophistications de retouche. Ensuite, l’accès à des outils de stockage en ligne et de partage, au réseau social créatif Behance, mais fonctionneraient tout aussi bien sans abonnement, ou avec un abonnement « collaboratif » spécialisé pour ceux qui en ont l’usage.

Mais cela signifie aussi (et surtout) que le fichier .psd que je crée aujourd’hui avec ma version Photoshop CC ne sera plus lisible dans deux ans quand j’aurai stoppé mon abonnement pour une raison que je n’anticipe pas aujourd’hui. Difficulté financière, usage moins fréquent du logiciel, tarif d’abonnement en augmentation (que se passe-t-il si Adobe décide de doubler le prix ?) [edit 15/5/13 : ou modification de la configuration minimum du PC pour que PS fonctionne]… C’est l’énorme point noir de cette stratégie. Quand je loue une voiture ou une tronçonneuse pour un week-end, il n’y a pas d’effet retard, j’en ai besoin à un moment donné pour un usage précis. Si on est suffisamment motivé pour travailler avec Photoshop — et payer tous les mois —, ce n’est pas juste pour produire des jpg sur le champ, mais pour utiliser les possibilités non destructrices du logiciel : calques, objets dynamiques, etc.

Adobe répond à cela dans sa page de « fans » Facebook qu’on peut encore acheter Photoshop CS6 pour toujours et ne pas passer à PS CC, ou qu’on peut retourner à CS6 après avoir arrêté CC, mais cela ne satisfait visiblement pas les fans (ex-fans ?!) en question qui grondent de manière aussi véhémente qu’unanime.

Le statut et l’histoire très particuliers de Photoshop expliquent cette fronde. Une grande partie, sans doute une majorité, des utilisateurs tombe dans la catégorie des photographes amateurs / avertis / semi-pros / petits indépendants, des profils très différents des utilisateurs d’autres logiciels comme inDesign ou même Illustrator.

Les réponses d’Adobe semblent jusqu’à présent peu convaincantes, axées sur le calcul économique, sur le ton « mais non, ce n’est pas si cher que cela ». Une telle décision stratégique ne peut être que mûrement réfléchie, mais il n’est pas certain qu’Adobe ait anticipé l’ampleur des réactions négatives… Aux personnes qui craignent de ne plus pouvoir ouvrir leur .psd après arrêt de l’abonnement, Adobe répond « Photoshop CS6 sera toujours disponible », mais plus de trace de CS6 sur leur site (edit : si, mais bien caché) ! A suivre.

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