Rappel des épisodes précédents : en octobre 2010 deux geeks créent une application de partage de photos assortie d’un format carré impératif et de quelques filtres suffisamment efficaces pour masquer la fréquente passable qualité des photos prises avec un mobile. Quelques millions d’utilisateurs plus tard, Facebook débourse 1 millard de dollars  pour racheter la petite startup. Un détail, l’application était gratuite, sans recette d’abonnement ni publicité.

Ce n’est donc pas une surprise que Facebook introduise de la pub dans le fil des photos d’Instagram, tout comme il le fait dans Facebook. C’est comme ça que les médias gratuits fonctionnent (TF1, Europe 1, 20 minutes, etc.), les naïfs qui s’indignent de voir arriver la monétisation (on dit comme ça) du service vivent sans doute sur une autre planète. Les déclarations récentes du boss Kevin Systrom annonçant cette arrivée de la pub avaient déjà déclenché les déceptions, pleurs ou cris de nombreux utilisateurs.

Là, depuis hier, ça crie plus fort. Car Instagram va bien introduire cette pub, mais avec ce que les utilisateurs lui confient : leurs photos. Il faut comprendre que ce que vend un réseau social à ses annonceurs sont des publicités à valeur ajoutée, c’est à dire ciblées et cautionnées par les utilisateurs.

Si, sur Facebook, chère Brigitte, vous folle fan les processeurs Intel, votre marque favorite va pouvoir publier une pub sur le mur de vos amis « Brigitte aime Intel ». Vous avez, en vous inscrivant sur Facebook, accepté ses conditions d’utilisation, et celles-ci autorisent Facebook à le faire. C’est le prix à payer pour bénéficier du service gratuit apporté par Facebook. Comme cela relaie une marque que vous avez déclaré « aimer », et publiquement, votre image ne devrait pas souffrir de cette association — sauf que vous ne savez probablement pas, chère Brigitte, que vous êtes utilisée de la sorte vu que cela n’est pas publié sur votre mur.

 

Instagram a donc annoncé une modification de ses CGU (Conditions Générales d’Utilisation), à compter du 16 janvier, afin de pouvoir utiliser un peu le même principe. Sur Instagram, vous n’avez pas déclaré aimer l’Hôtel de la plage à Bordemer-les-Flots, mais vous y avez pris des photos lors de votre passage. Selon ces CGU nouvelles, Instagram pourra afficher aux utilisateurs se trouvant aux environs de Bordemer-les-Flots « Brigitte était à l’hotel de la plage et elle a fait une jolie photo, regardez comme la piscine est cool ». Votre photo aura été repérée grâce à la géolocalisation de vos clichés. Et vous ne serez pas rémunérée pour l’utilisation publicitaire de cette photo sur le fil d’Instagram. Comme vous ne l’êtes pas quand Canon utilise votre témoignage sur Facebook.

Cet usage est déjà suffisamment polémique, le problème est qu’Instagram d’une part s’y est pris comme un manche en matière de communication et d’autre part a fait travailler des juristes américains qui en général n’y vont pas avec le dos de la cuiller question rédaction hyper-protectrice. La mayonnaise est montée à grande vitesse chez les utilisateurs et les médias, pour se traduire en « Instagram est propriétaire de mes photos » et « Instagram est transformé en une immense banque d’image de type Getty ou Fotolia et va se faire de l’argent sur mon dos en vendant ma photo partout ». Le problème est que des affirmations péremptoires de ce type, d’autant plus relayées qu’elles sont simplificatrices et extrêmes, ne facilitent pas la clarté du débat.

Essayons de détricoter tout ça : que disent vraiment les nouvelles CGU d’Instagram, en quoi sont-elles différentes des actuelles ?

D’abord la faute de com’.

Sur son blog et en alerte sur les mobiles, Instagram alerte sur les nouvelles CGU, en disant :

  1. Rien n’a changé en ce qui concerne la propriété de vos photos et qui peut les voir
  2. On a changé des trucs pour mieux échanger avec Facebook, combattre le spam et faire que ça marche mieux
  3. Nos nouvelles conditions vous protègent, et prémunissent du spam

Il fallait aller dans les CGU, ce que bien entendu personne ne fait, pour découvrir le pot aux roses. Et ce qu’on y lit est quand même en contradiction avec le point 1, sauf vraiment à jouer sur les mots : certes je reste propriétaire, mais c’est juste que j’autorise leur utilisation sans autorisation. Instagram aurait joué franc jeu et expliqué tout l’intérêt de son dispositif (on doit bien trouver quelques arguments en cherchant bien), il y aurait eu vives discussions, mais certainement moins de sentiment de se faite entuber. L’esprit Zuckenberg a vite déteint sur sa nouvelle acquisition.

Dans les CGU, il y a cette nouvelle disposition :

Some or all of the Service may be supported by advertising revenue. To help us deliver interesting paid or sponsored content or promotions, you agree that a business or other entity may pay us to display your username, likeness, photos (along with any associated metadata), and/or actions you take, in connection with paid or sponsored content or promotions, without any compensation to you.

Traduction rapide : Une partie ou la totalité du Service pourra être soutenu par des revenus publicitaires. Pour nous aider à fournir du contenu payant ou sponsorisé ou des promotions intéressants, vous donnez votre accord pour qu’une entreprise ou autre organisation nous paye pour afficher votre nom d’utilisateur, votre photo de profil, vos photos (et leur métadonnées), les actions que vous faites, en rapport avec du contenu payant ou sponsorisé ou une promotion, sans rémunération pour vous.

En fait, c’est précisément ce que fait Facebook, sauf qu’il n’utilise pas vos photos. Sur l’utilisation de votre image dans des publicités, Facebook est plus restrictif qu’Instagram nouvelle formule :

Notre objectif est de proposer des publications et du contenu commercial de façon avantageuse pour nos utilisateurs et nos annonceurs. Pour nous aider à y parvenir, vous acceptez les conditions suivantes :

  1. Vous pouvez utiliser vos paramètres de confidentialité pour limiter la façon dont votre nom et votre photo de profil peuvent être associés à du contenu commercial, du contenu sponsorisé ou d’autres contenus (tels qu’une marque que vous indiquez aimer) que nous diffusons. Vous nous donnez la permission d’utiliser votre nom et votre photo de profil en association avec ce contenu, conformément aux limites que vous avez établies.
  2. Nous ne donnons pas votre contenu ou vos informations aux annonceurs sans votre accord.
  3. Vous comprenez que nous ne pouvons pas toujours identifier les communications et services payés en tant que tels.

C’est donc ce que fait Facebook quand il m’informe que mon amie Brigitte aime Intel.

Revenons à Instagram. Cette clause me dit qu’on va utiliser mes photos pour faire de la pub à quelque chose en rapport avec ce que j’ai photographié. Enfin, qu’on est susceptible de le faire. Parce que, si je regarde mon flux de photos Instagram, j’ai un peu de mal à trouver des trucs super vendeurs, mais bon. Ce que je comprends, c’est que mes photos peuvent être vendues à l’hotel de la plage pour la pub qu’il fera sur Instagram, mais je ne vois pas où je donne mon accord pour qu’elles soient utilisées en dehors de ce contexte.

Quand je lis dans la presse ou sur les blogs qu’Instagram va se transformer en Photolia ou autre service de stock au rabais, cela me semble donc une extrapolation hasardeuse. De même quand je lis « Instagram va devenir propriétaire de mes photos ». Il y a une nuance, claire en droit d’auteur, entre la propriété et l’usage.

Bien sûr, il y a aussi l’autre clause, celle qui dit en substance que j’autorise Instagram à faire ce qu’il veut de mes photos. La voilà :

Instagram does not claim ownership of any Content that you post on or through the Service. Instead, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, transferable, sub-licensable, worldwide license to use the Content that you post on or through the Service, except that you can control who can view certain of your Content and activities on the Service as described in the Service’s Privacy Policy, available here: http://instagram.com/legal/privacy/.

Traduction rapide : Instagram ne prétend pas à la propriété du contenu que vous publiez. A la place (cet « instead » est étrange et révélateur !), vous cédez à Instagram une license d’exploitation de votre contenu, non-exclusive, payée en totalité (payée zéro mais c’est comme si c’était payé) et sans redevances, transférable, sous-licensiable, pour le monde entier, sachant que vous pouvez contrôler qui voit certains de vos contenus (en mettant votre compte en statut « privé »).

Ah ! Je vous l’avais bien dit, ils peuvent tout faire avec mes photos ! Sauf que cette clause existait déjà, sous cette forme :

Instagram does NOT claim ANY ownership rights in the text, files, images, photos, video, sounds, musical works, works of authorship, applications, or any other materials (collectively, « Content ») that you post on or through the Instagram Services. By displaying or publishing (« posting ») any Content on or through the Instagram Services, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, worldwide, limited license to use, modify, delete from, add to, publicly perform, publicly display, reproduce and translate such Content, including without limitation distributing part or all of the Site in any media formats through any media channels, except Content not shared publicly (« private ») will not be distributed outside the Instagram Services.

Traduction rapide : pareil, sauf avec des majuscules qui mettent en valeur la non-possession des photos. Mais ils ont quand même tous les droits, en plus ils précisent qu’ils peuvent altérer vos photos, ce qui a (curieusement) disparu dans la nouvelle version.

C’est une clause qui existe aussi dans Facebook :

Pour le contenu protégé par les droits de propriété intellectuelle, comme les photos ou vidéos (propriété intellectuelle), vous nous donnez spécifiquement la permission suivante, conformément à vos paramètres de confidentialité et des applications : vous nous accordez une licence non-exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook (licence de propriété intellectuelle). Cette licence de propriété intellectuelle se termine lorsque vous supprimez vos contenus de propriété intellectuelle ou votre compte, sauf si votre compte est partagé avec d’autres personnes qui ne l’ont pas supprimé.

Et c’est une clause qui existe dans la plupart des réseaux sociaux, Tumblr par exemple :

When you transfer Subscriber Content to Tumblr through the Services, you give Tumblr a non-exclusive, worldwide, royalty-free, sublicensable, transferable right and license to use, host, store, cache, reproduce, publish, display (publicly or otherwise), perform (publicly or otherwise), distribute, transmit, modify, adapt (including, without limitation, in order to conform it to the requirements of any networks, devices, services, or media through which the Services are available), and create derivative works of (including, without limitation, by Reblogging, as defined below), such Subscriber Content.

Sauf que Tumblr ajoute :

The rights you grant in this license are for the limited purpose of operating the Services in accordance with their functionality, improving the Services, and allowing Tumblr to develop new Services. The reference in this license to « derivative works » is not intended to give Tumblr itself a right to make substantive editorial changes or derivations, but does enable Tumblr Subscribers to redistribute Subscriber Content from one Tumblr blog to another in a manner that allows Subscribers to, e.g., add their own text or other Content before or after your Subscriber Content.

Traduction rapide : Vous donnez le droit de faire toutes ces choses horribles avec mon contenu, mais c’est limité aux usages en rapport avec le service. Et une autorisation de ce type est indispensable pour permettre à d’autres usagers de partager votre contenu — c’est toute la mécanique des réseaux sociaux.

Cette précision, importante, est absente des CGU d’Instagram et de Facebook. Mais en allant sur celles de Facebook, on trouve caché dans la clause 17 « termes spécifiques aux utilisateurs hors des Etats-Unis » l’information qu’il y a des clauses spécifiques aux utilisateurs résidant en Allemagne. Curieux, non ? Allons voir, et justement on peut lire en allemand « Le paragraphe 2 (celui sur la cession de licence) s’applique à condition que l’utilisation du contenu soit sur ou en rapport avec Facebook« . Les tribunaux allemands ont donc trouvé que cette clause était, sinon abusive, en tous cas méritait clarification. A quand une revisite des CGU par les tribunaux ou autorités françaises ?

Dans l’affaire Instagram, on peut donc avoir une lecture littérale de ce type de clause mais, accordons le bénéfice du doute (quoique…), d’une part elle existait déjà, d’autre part, elle ne semble pas conçue dans le but d’une exploitation commerciale des images mais plutôt aux contraintes de fonctionnement d’un réseau social. Ce qui mériterait d’être précisé façon Tumblr ou Facebook Allemagne.

Donc si on se résume : Instagram n’est pas propriétaire de mes photos, il peut les utiliser pour faire la pub de quelque chose sur Instagram (et sur Facebook sans doute), il n’est pas prévu de les vendre comme des photos de stock. Voilà de quoi on parle vraiment.

Alors oui, on peut être opposé à cette utilisation, et rendu inquiet par cette clause trop vague. Mais ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi et chanter « on m’a volé mes photos » sur l’air de la Castafiore.

Ceci dit, personnellement, je trouve ces modifications de CGU fort déplaisantes à la fois sur la forme et sur le fond. Mais comment Instagram a-t-il pu penser que son « ni vu ni connu je t’embrouille » allait passer comme une lettre à la poste ? Sans doute les leçons de Facebook qui réussit assez bien ce genre d’entourloupe. Mais ici, on touche à la création personnelle, un terrain sensible pour quelques-uns. Ou alors ils se fichent de perdre 5% de leurs utilisateurs (dans le monde, 5 millions d’Instagramers sérieux sur leur production ?), même s’ils font beaucoup de bruit en claquant la porte.

 

Y a-t-il une vie après Instagram ? C’est la question que se posent ces « power users » qui ont été prompts à réagir depuis 24 h. Quelques grands noms ont déjà annoncé leur départ : Ben Lowry, Star Rush, Koci Hernandez…

          

 

Trois questions se posent pour les partants :

Où aller ?

Ca tombe bien, Flickr vient de repenser son application mobile, et cette affaire Instagram fait bien la leur. De quoi les remettre en selle dans une période de creux. Après tout, Flickr est au départ, et est toujours, un réseau social. Dans le même esprit, 500px est une alternative, mais sans la large base d’utilisateurs de Flickr. Dans les réseaux purement mobiles, façon Instagram deux candidats : l’allemand EyeEm et le français Starmatic, un nouveau venu plutôt prometteur. Tous deux (Flickr aussi) présentent une collection de filtres façon Instagram, mais de toutes façons on s’en fiche car les utilisateurs « sérieux » d’Instagram ne s’en servent jamais. Lequel sortira son épingle du jeu ? Difficile à dire, les utilisateurs que je connais ont tendance à se placer à plusieurs endroits, l’un émergera peut-être, en tout cas c’est une sacré opportunité pour des nouveaux venus comme Starmatic qui sans doute n’en demandait pas tant.

Comment récupérer ses photos ?

Instaport vous propose de récupérer toutes vos photos et de vous les envoyer dans un fichier zip (et prochainement de les envoyer sur Flickr). Rusé, Starmatic donne l’option d’importer directement dans l’application ses photos d’Instagram. Il y a aujourd’hui de sérieux bouchons dans ces procédures de transfert, si vous avez choisi de bouger, vous n’êtes pas non plus au jour près, l’échéance est le 16 janvier.

Comment retrouver ses amis ?

Eh oui, c’est là que le bât blesse, c’est là le véritable coût du changement. Il va falloir reconstituer votre carnet d’abonnés et d’abonnements. Pour certains, on parle en centaines de contacts, qui vont s’éparpiller, certains rester sur Instagram, d’autres partir ça où là.

 

Instagram a encore le temps de revenir en arrière et de proposer des termes plus acceptables. Mais de toutes façons, la machine est cassée, les enthousiasmes sont douchés, et rien ne sera plus pareil. C’était peut-être ça la fin du monde annoncée par les Mayas.

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Mise à jour 19/12/12 01:40

Instagram annonce sur son blog qu’ils se sont mal exprimés, et qu’ils préparent une nouvelle version de leurs CGU plus compréhensible.

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Mise à jour 21/12/12

Instagram annonce qu’ils reviennent aux termes actuels des CGU (pour l’instant et en ce qui concerne la partie pub polémique). Le projet ressemble donc à ce qui suit. Le truc est qu’il n’est pas si simple de regagner la confiance de la communauté des IGers, et que du coup cette rédaction qui était passée inaperçue reste suspecte.

Instagram does not claim ownership of any Content that you post on or through the Service. Instead, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royalty-free, transferable, sub-licensable, worldwide license to use the Content that you post on or through the Service, subject to the Service’s Privacy Policy, (…)

Some of the Service is supported by advertising revenue and may display advertisements and promotions, and you hereby agree that Instagram may place such advertising and promotions on the Service or on, about, or in conjunction with your Content. The manner, mode and extent of such advertising and promotions are subject to change without specific notice to you.

You acknowledge that we may not always identify paid services, sponsored content, or commercial communications as such.